Les oubliées du numérique - Isabelle Collet

Les oubliées du numérique : Enjeux d’identité et stéréotypes, avec Isabelle Collet (Partie 1)

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Les oubliées du numérique : Enjeux d'identité et stéréotypes, avec Isabelle Collet (Partie 1)
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Saviez-vous que la première personne à avoir écrit un programme informatique était une femme ? Ada Lovelace, au 19ᵉ siècle, a posé les fondations de ce qui allait devenir la programmation informatique. Plus tard, dans les années 1950, c’est encore une femme, Grace Hopper, qui a inventé le concept de la compilation, rendant les langages informatiques accessibles aux humains. Elle avait d’ailleurs prédit, avec une incroyable intuition, que les logiciels deviendraient un jour plus coûteux que les machines elles-mêmes.

À cette époque, le développement de logiciels était perçu comme une tâche « secondaire », ayant peu de valeur comparée au matériel électronique. Résultat : de nombreuses femmes ont occupé ces postes. Les grandes avancées logicielles du 20ᵉ siècle sont l’œuvre de mathématiciennes autodidactes, comme celles qui ont conçu les calculs derrière l’ENIAC, le premier ordinateur électronique développé par l’armée américaine. Cette époque était marquée par une séparation genrée : les hommes travaillaient sur les machines (le matériel – ou « hard »), tandis que les femmes s’occupaient des logiciels (« soft »).

Et pourtant, aujourd’hui, le paysage a radicalement changé. Près des deux tiers des métiers du numérique sont occupés par des hommes. Dans certains domaines comme la cybersécurité, ce chiffre grimpe à 85 %, et parmi les dirigeants de startups technologiques, 90 % sont des hommes. Comment en sommes-nous arrivés là ? Quelles dynamiques, visibles ou invisibles, ont contribué à cette inégalité persistante ?

Pour explorer ces questions et ouvrir des pistes de réflexion, nous avons l’immense plaisir de recevoir Isabelle Collet.

Notre invitée

Isabelle Collet est sociologue, professeure à la section des sciences de l’éducation de l’Université de Genève où elle dirige l’équipe G-RIRE : Genre, Rapports Intersectionnels, Relation Éducative. Elle a soutenu en 2005 un doctorat sur la masculinisation des études informatiques. Elle est spécialiste de la question du genre dans les sciences et techniques, lauréate de l’Académie française des sciences morales et politique et membre d’honneur de la Société informatique de France depuis 2019. Date à laquelle elle publie Les oubliées du numérique (aux éditions Le Passeur). Son ouvrage s’intéresse à la place des femmes dans le numérique. (crédit photo tecladies.ch)

Ce qu’il faut retenir

  • Une étude d’Epitech et Ipsos révèle que 33 % des filles sont encouragées par leurs parents à envisager une carrière dans le numérique, contre 61 % des garçons. Selon le rapport du Haut Conseil à l’Égalité, seulement 7 % des adolescentes expriment le désir de s’orienter vers le numérique, contre 29 % des garçons. Pourtant, en primaire, il semble que les préjugés sur la Tech ne soient pas présents.
  • Déterminisme (des filles) versus potentialité (des garçons). Il y a une croyance que le mérite fonctionne, que notre performance est prédictive de notre valeur future. Cela peut amener vers l’échec scolaire, tant chez les filles que chez les garçons.
  • Syndrome de l’imposteur et censure sociale – Le syndrome de l’imposteur est ressenti par les deux sexes, mais n’est pas géré de la même manière. Plutôt intériorisé chez les hommes, il est partagé entre femmes.
  • Il faut encourager les femmes (tant qu’on aura pas arrêté l’auto-censure sociale) et comprendre pourquoi elles n’ont pas envie de venir dans les filières scientifiques (via une lutte contre la violence physique et sexuelle et contre les violences de genre).
  • Réformer le système : changer les critères d’admissions, veillez à plus de mixité, faire des safe places (harcèlement sexiste), transformer les instituions ou se transmettre le savoir.
  • Une prise de conscience sur la nécessité d’avoir des femmes dans l’informatique est en cours, aidée par des initiatives positives comme les chartes de bonne conduite.
  • Niveler la menace du stéréotype – Des études ont exploré l’impact des stéréotypes de genre sur les performances des filles et des garçons en maths, notamment en géométrie. Une expérience notable a consisté à présenter une même tâche sous deux intitulés différents : « test de géométrie » pour un groupe et « exercice de dessin » pour un autre. Les résultats ont révélé que les filles obtenaient de meilleures performances lorsque l’exercice était présenté comme du dessin, tandis que les garçons excellaient davantage lorsque la tâche était décrite comme de la géométrie.
  • L’enquête internationale de référence TIMSS qui est réalisée tous les 4 ans et qui évalue le niveau en mathématique des élèves dans le monde vient de sortir. En résumé, c’est la catastrophe. Les élèves de CM1 français se classent derniers de l’Union Européenne et avant dernier dans toute l’OCDE. A cet âge nous dit l’étude, 15% des élèves ne maîtrisent pas les « compétences élémentaires » en maths, soit 2x plus que la moyenne de l’UE. En 4e, c’est à peine mieux : la France reste avant-dernière de l’UE juste devant le Portugal alors qu’elle était dans le top 5 en 1995. Pire, l’écart continue de se creuser fortement entre filles et garçons en France. En CM1, il y a 23 points d’écart désormais en défaveur des filles versus les garçons faisant de la France la championne des inégalités de genre.

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