Dans le dernier numéro de Futu&R, Usbek&Rica interpelle le lecteur de manière provocante dans son dossier intitulé « L’écriture va disparaître, et alors ? ».
Face à la popularité croissante des livres audios et des notes vocales, nous assisterions à une chute des pratiques d’écriture manuscrite, accélérée par l’avènement de l’Intelligence Artificielle générative.
Écoutez plutôt ces chiffres : plus de 7 milliards de messages vocaux sont transmis chaque jour sur WhatsApp. L’écoute de livres audio chez les jeunes Français a doublé depuis 2016, pour atteindre 42% des 7-19 ans. Un français envoyait encore 45 lettres manuscrites par an en moyenne en 2008. Ce chiffre est tombé à 5% en 2020. Et accrochez-vous bien à votre clavier: en moins de 10 ans, les ventes de stylo plumes ont été divisées par deux.
Pour Jeff Jarvis, journaliste et auteur de nombreux ouvrages sur la Tech, nous serions ainsi à la veille de refermer ce qu’il nomme la « parenthèse Gutenberg ». A savoir cinq siècles qui auront vu l’écrit façonner notre rapport au savoir et à la culture.
Alors, sommes-nous réellement à la fin de l’usage de l’écriture manuscrite ?
Un rééquilibrage entre l’oralité et l’écriture très certainement, notamment dans le secteur éducatif. L’école de Jules Ferry sacralisait l’écriture comme principal pilier de nos méthodes d’apprentissage, de mémorisation et d’évaluation. Face au recul de la lecture, à la démocratisation des claviers et à l’essor fulgurant de l’IA, le moment semble opportun nous dit Cécile Cathelin, professeure de lettres modernes à Tours, d’interroger l’ensemble de nos pratiques pédagogiques et redoubler de créativité afin d’exploiter tous les leviers possibles, à commencer par l’oral, dont le potentiel demeure sous-estimé.
L’écriture traduit bien plus que la parole, elle raconte notre manière de voir le monde, le filtre à travers lequel nous déchiffrons et comprenons ce qui nous entoure. Contrairement à l’oralité qui oblige à construire sa pensée simultanément à la parole, l’écriture fonctionne en décalé : on réfléchit, puis on écrit, et on corrige.
Silvia Ferrara, philologue italienne, précise que l’écriture n’est pas juste fonctionnelle, c’est un engagement personnel. En effet, lorsque je prends des notes dans mon carnet et que je les relis, j’ai l’impression de relire mon propre travail, même si les phrases que j’ai notées proviennent du livre que je n’ai pas écrit. Je les faits mienne. Un peu comme le podcast que vous écoutez en ce moment, que je prépare sur une feuille en papier, généreusement raturée et amandée, qui me sert de support écrit pour permettre cet enregistrement audio.
Le magazine s’interroge également sur l’histoire humaine. Pourrait-elle se transmettre uniquement par la parole ? Après tout, dans nos sociétés occidentales, l’oralité a aussi joué un rôle fondamental dans la constitution de la pratique historique. En réalité, les témoignages historiques ont été analysés et conservés dans le cadre de transcriptions écrites, traduisant une forme d’hybridation entre oralité et écriture.
Vous l’aurez compris, le dernier numéro de Futu&r au-delà du titre volontairement provocateur nous décrit un monde fort heureusement encore loin d’abandonner son écriture. Mais Internet, l’informatique et maintenant l’Intelligence Artificielle rendent les outils de conservation et de transmission de plus en plus puissants, ouvrant la promesse d’une hybridation du langage et de la pratique historique. Une pratique ou l’écrit et l’oralité vont pouvoir être mieux conservée, mieux diffusée et mieux transmit, donc possiblement mieux appropriée.