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Le mythe de l’entrepreneur, défaire l’imaginaire de la Silicon Valley, d’Anthony Galluzzo

Dans son ouvrage le Mythe de l’Entrepreneur, Anthony Galluzzo, Professeur à l’université de Saint-Etienne et spécialiste des univers marchands décrypte la manière dont les mythes originaires de la Silicon Valley seraient en réalité construits de toute pièce.
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Le mythe de l'entrepreneur, défaire l'imaginaire de la Silicon Valley, d'Anthony Galluzzo
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Je m’appelle Clément Donzel et suis expert en cybersécurité et en protection de la vie privée numérique.

Aujourd’hui, on s’intéresse aux grands entrepreneurs américains. Chaque génération a le privilège d’admirer une poignée de grands génies aux capacités hors du commun capables d’imaginer des innovations révolutionnaires. Elon Musk et Jeff Bezos aujourd’hui, Steve Jobs et Bill Gates hier, Henry Ford et Thomas Edison il y a un siècle…

Dans son ouvrage le Mythe de l’Entrepreneur, défaire l’imaginaire de la Silicon Valley, Anthony Galluzzo, Professeur à l’université de Saint-Etienne et spécialiste des univers marchands décrypte la manière dont les mythes originaires de la Silicon Valley seraient en réalité construits de toute pièce.

Dans cet imaginaire collectif, nos entrepreneurs, d’origines modestes, montrent généralement une précocité et une intelligence céleste. Visionnaires, ils s’arrachent à leur condition d’isolement, souvent matérialisée par la scène du garage, ou le créateur donnera naissance à son entreprise qu’il amènera au succès par la seule force de son génie.

Pourtant, nous dit l’auteur, l’analyse de la population des grands entrepreneurs américains met en lumière plusieurs déterminants communs. L’entrepreneur faisant fortune au 19e siècle est, dans une très grande majorité, un homme blanc né aux États-Unis, d’origine anglo-saxonne et de religion protestante. Il grandi à la ville, au sein d’une famille de commerçants, de banquiers, d’industriels ou d’employés et réalise des études relativement longues. Loin de s’extraire seul de sa condition précaire, notre entrepreneur est avant tout un agent économique rationnel analysant les données marché à sa disposition. Bénéficiant très souvent d’un capital culturel et social, il peut s’appuyer sur un réseau familial et professionnel pour développer son activité.

Un portrait-type qui dénote avec l’image d’Épinal de l’enfant en haillons parti de rien et devenu millionnaire à la force de ses prévisions prophétiques.

La construction d’un mythe entrepreneurial

Plusieurs éléments, nous dit Galluzo, sont nécessaires pour construire un mythe entrepreneurial. Tout d’abord un subtil mélange de storytelling organisé par les services de communication des entreprises elles-mêmes en collaboration avec des agences de relations publiques qui développent les éléments de langage. Ensuite, par le pouvoir de séduction et d’incarnations désirables que ce récit représente pour nous tous. Enfin, par des collectifs de journalistes ensuite qui se chargent de perpétuer le mythe dans une narration commune, au risque d’en réécrire une partie. On pense notamment à Steve Wozniak, le co-fondateur d’Apple qui a dénoncé de nombreuses fois les récits erronés présentes dans les bibliographies de Steve Jobs, en vain. Je vous propose d’écouter un extrait d’une interview que Steve Wozniak a donné à Bloomberg à propos de la scène du garage [EXTRAIT AUDIO].  

Le storytelling d’Apple nous dit Galluzzo a décidé de privilégier le manager (Steve Jobs) et dans une moindre mesure l’ingénieur (Steve Wozniak) à tout autre protagoniste. Mais d’autres prétendants aux titres à la fois de visionnaire et d’inventeur de l’ordinateur personnel auraient pu émerger. L’auteur nous en mentionne au moins trois dans le cas d’Apple.  Comme Douglas Engelbart, dont les équipes qui travaillaient au Stanford Research institute ont développé un nombre considérable de dispositifs qui ont fait l’informatique moderne et qui seront repris par Jobs et ses équipes : l’interface graphique et la souris, les liens hypertextes et les sessions de visioconférence dans les années 1960, jusqu’aux police de caractères, contrairement à ce qu’indiquait Jobs lors de son célèbre discours à Stanford [EXTRAIT AUDIO]. Mais continuons notre tour des prétendants : Mike Markkula pourrait peut-être considérer comme le véritable fondateur d’Apple, celui qui a transformé une petite opération d’amateurs insignifiante en une start-up structurée et solidement financée. Enfin, Arthur Rock, quant à lui, est l’une des figures les plus importantes de la Silicon Valley : il a contribué à l’émergence des plus grandes entreprises de la région – Fairchild Semiconductor, Intel, puis Apple. Pourtant, aucune biographie ne lui a jamais été consacrée et sa fiche Wikipédia est famélique. Et si le véritable génie d’Apple n’était pas Steve Jobs mais Tim Cook ? Si l’on réécrivait l’histoire d’Apple avec pour unique boussole les résultats financiers, c’est indubitablement la vie de Tim Cook que l’on chercherait à transformer en légende. En effet, Bloomberg a classé tous les P-DG de l’histoire d’Apple en fonction de la façon dont a évolué la valorisation boursière de l’entreprise sous leur direction Steve Jobs (1997-2011, + 12,4 %) se situe loin derrière Mike Markkula (1981-1983, + 74 %) et John Sculley (1983-1993, +106 %). Tim Cook les surclasse tous avec une augmentation de + 561 %.

Si l’auteur n’exclue pas de célébrer l’existence d’être exceptionnels et géniaux, il invite le lecteur à prendre conscience de facteurs structurant conditionnant leur existence même comme l’importance d’être au bon endroit au bon momentdu réseau personnel et professionnel, des conditions de marché, du storytelling, et bien sûr d’équipes très compétentes qui entourent ces entrepreneurs pour réaliser leur « vision ».

Un livre brillant, détonnant, qui aidera le lecteur à déconstruire l’imaginaire entrepreneurial américain et se détacher des canons narratifs établis. Un vrai livre coup de cœur à découvrir aux éditions Zones.

Crédit photo : Coactis.org

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