Salut et bienvenue dans la Tech à l’Envers, le média qui décrypte l’envers de la Tech pour en développer un usage éthique et respectueux de notre vie privée.
Aujourd’hui, on s’intéresse au dernier ouvrage de David Colon, la Guerre de l’Information : les États à la conquête de notre cerveau. Pour l’auteur, nous assistons à une militarisation de l’information qui vient bouleverser l’ordre géopolitique mondial.
L’information se substitue aux chars. Les citoyens, armés de tweets et de likes se transforment en soldats, les médias et les réseaux sociaux deviennent le nouveau champ de bataille. La guerre de l’information, c’est un conflit géopolitique où les États cherchent à capter notre attention, à susciter notre engagement (ou notre désengagement), et à influencer nos conduites en instrumentalisant les failles de notre raisonnement et de notre psychologie.
Sur la scène mondiale, la Russie, qui avec une expertise reconnue en ingérences étrangères, manipulation et influence sur les processus électoraux, s’est imposée ces dernières décennies comme l’une des nations les plus habiles. David Colon nous cite par exemple la mécanique de désinformation implacable utilisée régulièrement par le Kremlin : relais des messages de la Russie par des experts intervenants sur les plateaux TV et dans les rédactions sous influence russe comme RT et Sputnik (pour rappel, interdits de diffusion en Europe depuis 2022), les messages sont ensuite rapidement repris par des influenceurs et amplifiés par des usines à trolls pour se jouer des algorithmes de nos chers réseaux sociaux. Le Kremlin est passée maître dans l’art d’instrumentaliser les médias traditionnels comme nous l’a montré l’invasion de l’Ukraine et le conflit entre Israël et le Hamas. À l’intérieur même de nos frontières, différents actes passant pour des faits divers comme les croix gammées taguées par des militants russes, ou l’affaire des cercueils sous la Tour Effel viennent alimenter les polémiques, amplifiées par les médias qui reprennent les informations sans grande vigilance.
La Chine quant à elle promulgue en 2003 sa doctrine des trois guerres qui vise à « saper les institutions internationales, à modifier les frontières et à subvertir les médias mondiaux, le tout sans tirer un seul coup de feu ». TikTok, le sulfureux réseau social Chinois fait partie intégrante de cette guerre cognitive en déployant une version occidentalisée de l’application bien différente de celle proposée à la jeunesse chinoise. Si la version chinois, nommée Douyin, propose des contenus éducatifs et limite l’utilisation à 40min par jour et par utilisateur, ce n’est pas le cas de la version occidentale qui promeut des danses parfois suggestives, des challenges récréatifs et des contenus courts visant plus à faire réagir à des stimuli qu’à faire réfléchir notre jeunesse. Au risque peut-être de voir la prochaine génération de prix Nobel et de médaillés Fields venir de l’empire du milieu et non de l’occident comme nous en avions l’habitude.
Nous pourrions également mentionner l’Iran, la Turquie ou encore les États-Unis qui sont également très actifs dans cette guerre cognitive et informationnelle.
Pour David Colon, plusieurs facteurs peuvent expliquer cet état de fait :
- Dépendance croissante des médias envers les grandes agences de presse (AP, AFP…)
- Développement d’entreprises privées et d’agences de relations publiques proposant d’influencer les opinions
- Une réglementation quasi inexistante des réseaux sociaux (et qui pourrait également favoriser une nouvelle culture de l’attention…)
- Et enfin, des nations passées maîtres dans l’usage du microciblage publicitaire, dans le détournement des algorithmes et la création de contenu de désinformation amplifié par l’Intelligence Artificielle
L’heure est à l’état d’urgence informationnelle. Heureusement, l’auteur nous propose quelques pistes pour combattre cette guerre attentionnelle
- Rompre avec la culture française de non-attribution des attaques en informant régulièrement les médias et le grand public des menaces identifiées
- Interdire les armes informationnelles, sur le modèle des traités de non-prolifération visant les armes nucléaires
- Adopter des lois de transparence qui obligeraient toutes les entités et tous les individus menant des actions d’influence pour le compte de pays étrangers à s’enregistrer et à déclarer leurs opérations sous peine de poursuites
- Interdire les sociétés spécialisées dans l’influence, le lobbying ou les relations publiques de mener des opérations d’influence à l’intérieur de nos frontières
- Responsabiliser les géants du numérique
- Former gratuitement les 34 000 journalistes français pour les sensibiliser aux manipulations de l’information par des puissances étrangères, ou encore
- Créer un observatoire de défense informationnelle (ODI) composé de représentants de toutes les instances civiles, économiques et militaires
Vous l’aurez compris, si la situation est grave, elle n’est pas encore désespérée. À condition que la réponse des démocraties soit à la hauteur des risques encourus. La Guerre de l’information, c’est un récit édifiant sur l’état du monde, dont je recommande la lecture.